Microsoft Research DRM talk

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Cory Doctorow (cory@eff.org), 17 juin 2004

Cette conférence a été donnée au Groupe de Recherche de Microsoft et à d'autres tiers membres de la compagnie, au siège de Redmond le 17 juin 2004. (Voir note sur le domaine public.)

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Introduction

Salutations, amis pirates! Arrrrr!

Je suis devant vous aujourd'hui pour vous parler de copyright, de technologie et de gestion des droits numériques (GDN, ou Digital Rights Management (DRM) en anglais). Je travaille pour l'Electronic Frontier Foundation sur les questions de copyright (principalement), et je vis à Londres. Je ne suis pas un avocat - je suis plutôt du genre porte-parole/activiste, même s'il m'arrive à l'occasion d'être rasé et sur mon trente-et-un pour parler devant des organismes de officiels ou embêter les gens de l'ONU. Je passe près de trois semaines par mois sur la route, à faire des trucs aussi bizarres que parler de GDN chez Microsoft.

Je mène une double vie: je suis également écrivain de science-fiction, ce qui signifie que j'ai des intérêts propres dans ce combat, vu que je rêve de vivre de ma plume depuis mes douze ans. Je reconnais que mes problèmes de propriété intellectuelle (PI) sont moins gros que les votres, mais je peux vous garantir qu'ils sont aussi importants pour moi qu'ils le sont pour vous.

Voici ce dont je suis venu vous convaincre:

  1. Les modèles de GDN ne marchent pas;
  2. Les modèles de GDN sont mauvais pour la Société ;
  3. Les modèles de GDN sont mauvais pour les affaires;
  4. Les modèles de GDN sont mauvais pour les les artistes;
  5. La GDN est un mauvais coup à jouer pour Microsoft.

Ce séminaire est important. Microsoft a englouti beaucoup d'argent dans des systèmes de GDN, et a passé beaucoup de temps à envoyer Martha, Brian et Peter dans des pièces enfumées pour s'assurer que la GDN de Microsoft trouvera un accueil favorable dans le futur. Les compagnies comme Microsoft tournent comme les vieux paquebots, et cette question a tant d'inertie qu'il sera difficile de la résorber sans faire exploser la salle des machines. Au mieux, je pense que Microsoft pourra convertir cette inertie sur la GDN en un moment angulaire, et par la même nous sauvera les fesses à tous.

Au boulot.

Les modèles de GDN ne marchent pas

Cette partie s'articule en deux morceaux:

  1. Une revue rapide de la théorie cryptographique
  2. Application à la GDN

La cryptographie -- l'écriture codée -- consiste à garder des secrets. Cela implique trois participants: un émetteur, un récepteur et un agresseur (il peut en fait y avoir plusieurs agresseurs, récepteurs et émetteurs, mais restons simples). Appelons ces personnes Alice, Bob et Carole.

Disons que nous sommes à l'époque de César et de la conquête des Gaules. Vous avez besoin d'échanger des messages avec vos généraux et vous préfereriez que l'ennemi ne s'en empare pas. Vous pouvez vous dire que celui qui interceptera votre message est illetré, mais ça n'est pas sur cela que vous devriez parier votre empire. Vous pouvez donner vos messages à des messagers de confiance qui les mâcheront et les avalerons s'ils sont capturés - mais ça ne servira a rien si Brad Pitt et ses copains en jupe les transpercent de flèches avant même qu'ils réalisent ce qui leur est arrivé.

Vous décidez donc de coder votre message avec quelque chose du genre de ROT-13, ou chaque lettre est décalée de moitié dans l'alphabet. Cela se faisait avec les messages non professionnels sur Usenet - à l'époque où l'on était discret avec les messages non professionnels sur Usenet: A devient N, B est O, C est P, etc. Pour décoder, on ajoute treize lettres, et N devient A, O est B, bref vous avez compris.

Mais ce n'est pas terrible: si quiconque devine votre algorithme, votre secret est perdu.

Donc si vous êtes César, vous passez beaucoup de temps à vous demander comment garder secrets l'existence de vos messages et leur contenu. Vous me suivez? Vous êtes Aquarium et avez besoin d'envoyer un message à Babaorum sans que Caceus (un mot qui m'a-t-on dit signifie "à l'apparence du fromage, ou lié au fromage") ne mette la main dessus. Vous donnez le message à Directenbus, le coureur le plus rapide de l'Empire, vous l'encodez avec ROT-13 et l'exfiltrez de votre camp aux heures les plus sombres de la nuit, en vous assurant que personne ne s'est aperçu de rien. Caceus a des espions partout, dans la garnison, sur la route, et si l'un d'eux plante une flèche dans Directenbus ils mettront la main sur le message, et s'ils devinent le code, vous êtes n1qu3s. L'existence du message est secrète. Le code est secret, et plus vous avez de secrets moins vous êtes en sécurité, particulièrement si vous partagez l'un de ces secrets. Les secrets partagés ne restent pas secrets très longtemps.

Le temps passe, des trucs arrivent, et tout d'un coup Tesla invente la radio et Marconi en prend tout le crédit. C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour la cryptographie: d'une part votre message peut aller à n'importe qui disposant d'un récepteur et d'une antenne, ce qui est génial pour le traître travaillant derrière les lignes ennemies. Mais d'un autre côté, quiconque dispose d'une antenne peut écouter le message, ce qui fait que ce n'est plus très faisable de garder l'existence du message secrète. A chaque fois qu'Adolf envoie un message à Berlin, il peut se douter que Churchill l'écoutera.

C'est en fait acceptable, parce que maintenant nous avons les ordinateurs -- des ordinateurs mécaniques gros, encombrants et primitifs, mais quand même des ordinateurs. Les ordinateurs sont des machines qui réarrangent les nombres, et les scientifiques des deux côtés se lancent dans une compétition féroce pour inventer la meilleure méthode possible pour réarranger du texte écrit sous forme numérale, de telle façon que ceux d'en face n'y comprennent rien. L'existence du message n'est plus un secret, mais le code l'est.

Mais ça fait toujours trop de secrets. Si Bobby intercepte l'une des machines Enigma d'Adolf, il peut alors donner toutes sortes de renseignement à Churchill. C'est vrai que c'était bien pour Churchill et nous, mais ça n'était pas cool pour Adolf. Et au bout du compte, ça n'est pas cool pour quiconque veut garder un secret.

Arrivent les clefs: un code qui utilise une clef est un peu plus sûr. Même si le code est divulgué, même si le texte crypté est intercepté, sans la clef le message reste secret. Après la guerre, cela est doublement important à cause de ce que j'appelle la loi de Schneier: "N'importe qui peut inventer un système de sécurité tellement ingénieux qu'il ou elle ne pourra trouver de moyen de le violer". Cela veut dire que la seule façon de savoir si vous avez fait des erreurs dans votre code est d'en parler à tous les gens intelligents de votre entourage et de leur demander de réfléchir à des manières de le casser. Sans cette étape essentielle, vous finirez par vivre dans un monde illusoire, où votre agresseur a cassé votre codes depuis des lustres et décode tranquillement tous les messages interceptés, tout en se gaussant de vous.

Le top du top, c'est de n'avoir qu'un seul secret: la clef. Et avec l'encryption à double clef il est beaucoup plus facile pour Alice et Bob de garder leur clef hors de portée de Carole, même s'ils ne se sont jamais rencontrés. Tant que leur clef est secrète, ils peuvent être confiants que Carole ne pourra lire leurs messages, quand bien même elle peut accèder au code et texte codé. Ce qui est bien pratique, c'est que les clefs sont parmi les secrets les plus courts et les plus simples, et donc encore plus facile à cacher de Carole. Bravo à Bob et Alice.

Voyons maintenant comment cela s'applique à la GDN.

En GDN, l'agresseur est *également le récepteur*. Ce n'est pas Alice, Bob et Carole, mais juste Alice et Bob. Alice vend un lecteur de DVD à Bob. Le DVD contient un film - disons Pirates des Caraïbes -- et il est encrypté avec un algorithme appelé CSS (Content Scrambling System -- Système de Brouillage de Contenu). Le lecteur de DVD a un débrouilleur de CSS.

Faisons le compte maintenant de ce qui est ici un secret. Le code est connu. Le texte encrypté est très certainement dans des mains ennemies, arrr. Et alors? Tant que la clef est hors de portée de l'agresseur, nous sommes peinards.

Mais voici où ça cloche: Alice veut que Bob lui achète Pirates des Caraïbes. Bob achètera Pirates des Caraïbes si et seulement si il peut débrouiller la vidéo codée par CSS sur son lecteur de DVD. Sinon, le disque ne pourra guère servir à Bob que de sous-bock à bière. Alice doit donc fournir à Bob -- l'agresseur -- la clef, le code et le message codé.

Hilarité générale.

Les systèmes de GDN sont habituellement cassés en l'espace de quelques minutes, parfois quelques jours. Il est rare que l'on doive attendre des mois. Ce n'est pas parce que les gens qui créent ces systèmes sont idiots, ni parce que ceux qui les cassent sont malins. Il n'y a pas de défaut dans les algorithmes. Au bout du compte, tous les systèmes de GDN partagent une vulnérabilité: ils donnent à l'agresseur le texte codé, le code et la clef. Arrivé là, le secret n'est plus un secret.

2. Les systèmes de GDN sont mauvais pour la Société

Levez la main si vous pensez quelque chose du genre "La GDN n'a pas à être résistante aux attaquants malins, mais simplement aux gens normaux! Comme un dos-d'ane!"

Baissez la main.

C'est une bêtise pour deux raisons: technique d'abord, et ensuite sociale. Mais les deux sont mauvaises pour la Société.

Explication technique: pas besoin d'être un pirate pour craquer votre GDN. J'ai simplement besoin de savoir utiliser Google, ou Kazaa, ou n'importe quel autre moteur de recherche généraliste pour trouver le code que quelqu'un de plus malin que moi aura décodé.

Levez la main si vous pensez quelque chose du genre "Mais NGSCB peut résoudre ce problème: on bloque les secrets sur la carte logique et on recouvre le tout d'époxy."

Baissez la main.

Levez la main si vous êtes un co-auteur de l'article intitulé Darknet.

Messieurs du premier groupe, faites la connaissance des co-auteurs de l'article Darknet. C'est un article qui raconte, entre autre, que la GDN échouera à cause de cela. Vous pouvez baisser la main.

Voici l'explication sociale à l'échec de la GDN: garder honnête un utilisateur honnête, c'est comme garder grand un utilisateur qui est déjà grand. Les vendeurs de GDN nous disent que leur technologie doit être résistante à l'utilisateur moyen, pas contre les groupes mafieux organisés comme le sont ces pirates ukrainiens qui impriment des millions de copies haute qualité. Ça n'a pas à résister aux lycéens sophistiqués. Ça n'a pas à résister à quiconque peut éditer sa base de registre, ou appuyer sur la touche Shîft au bon moment, ou utiliser un moteur de recherche. Au bout du compte, l'utilisateur contre qui protège la GDN est le plus primitif et le moins doué d'entre nous.

Voici l'histoire d'une utilisatrice que je connais et qui a été arrétée par la GDN. Elle est intelligente, possède un diplôme universitaire, et ne connaît rien à l'électronique. Elle a trois enfants. Elle a un lecteur DVD dans son salon et un vieux lecteur VHS dans la salle de jeux des enfants. Un jour, elle acheta le DVD Toy Story pour les gosses. Un investissement conséquent, et vu le destin confituré d'à peu près tout ce sur quoi les gamins mettent la main, elle décida d'enregistrer le DVD sur VHS et de donner la cassette aux enfants - elle pourrait ainsi faire une copie neuve à chaque fois que la précédente partirait en quenouille. Elle brancha le lecteur DVD sur le VHS, appuya sur "play" sur le DVD et "enregistrer" sur le VHS, et elle attendit.

Avant de continuer, j'aimerais que l'on s'arrête un moment pour s'émerveiller de tout cela. Voici quelqu'un de complètement technophobe, mais quand même capable d'imaginer un modèle suffisamment précis pour se douter qu'elle pouvait connecter ses cables dans le bon ordre et copier un disque numérique sur une cassette analogique. J'imagine que tout le monde dans cette pièce est le technicien de service pour quelqu'un dans sa famille: est-ce que ca ne serait pas génial si nos amis et membres de famille technophobes pouvaient être aussi malins et imaginatifs?

J'aimerais aussi souligner que cette femme est l'utilisatrice honnête standard. Elle ne fait pas une copie pour le voisin. Elle ne fait pas une copie pour la vendre sur le trottoir sur Canal Street. Elle ne copie rien sur son disque dur, ne convertit rien en DivX pour le mettre sur son fichier partagé Kazaa. Elle fait quelque chose d'*honnête* -- transférer son film d'un format à l'autre. Elle fait un enregistrement maison.

A part qu'elle échoue. Il y a un système de GDN appelé Macrovision inclus -- par force de loi -- dans chaque lecteur VHS qui joue avec l'intervalle vertical du signal et rend une cassette réalisée par ce moyen complètement illisible. Macrovision peut être éliminé pour environ 10$ avec un gadget disponible sur eBay. Mais notre pirate ne sait pas cela. Elle est "honnête". Techniquement primitive. Pas bête, hein -- juste naïve.

L'article Darknet parle de cette question. Il prédit même ce que cette personne fera à terme: elle entendra parler de Kazaa, et la prochaine fois qu'elle voudra un film pour ses enfants, elle le téléchargera et le gravera pour eux.

De manière à ralentir l'arrivée de ce jour autant que possible, nos législateurs et gros possesseurs de droits ont pondu une politique complètement désastreuse appelée anticontournement.

Voici comment ça marche: si vous mettez un verrou -- un contrôle d'accès -- autour d'une œuvre protégée, il est illégal de briser ce verrou. Il est illégal de créer un outil qui casse ce verrou. Il est illégal d'expliquer à quelqu'un comment fabriquer cet outil. Il pourrait même être illégal de dire à quelqu'un où il peut trouver cet outil.

Vous vous souvenez de la Loi de Schneier? Tout le monde peut inventer un système de sécurité tellement complexe qu'il ne peut en voir les défauts. La seule façon d'en découvrir les failles est d'en rendre le fonctionnement public et de demander l'avis général. Mais nous vivons dans un monde ou tout code qui permet de protéger une œuvre sous copyright est isolée de ce retour. C'est ce qu'un prof d'ingénérie à Princeton nommé Ed Felten a découvert avec son équipe quand il soumis un papier dans un conférence sur les faille de l'Inititative sur la Musique Numérique Sécurisée, un système de verrouillage proposé par l'industrie musicale. La RIAA [Recording Industry Association of America, NdT] répliqua en menaçant de lui faire un procès à mort s'il essayait de le publier. Nous les avons combattus parce qu'Ed est le genre de client que les avocats en jurisprudence adorent: inarrêtable et propre sur lui. La RIAA s'est ramassée. Quel veinard, Ed. Mais peut-être que le prochain n'aura pas autant de chance.

Et figurez-vous que le suivant n'a pas eu de chance. Dimitri Sklyarov est un programmeur russe qui fit un speech lors d'une convention de hackers à Las Vegas sur les défauts dans les verrous du e-book d'Adobe. Le FBI l'a gardé en prison pendant 30 jours. Il plaida coupable, rentra en Russie, et l'équivalent russe du Ministère des Affaires étrangères lança un avertissement général à ses chercheurs d'éviter les conférences américaines, vu qu'apparemment nous étions devenus un pays où certaines équations étaient illégales.

L'anticontournement est un outil particulièrement puissant pour éliminer la compétition. Si vous insistez que vos outils pour moteurs de voiture sont "un travail protégé", vous pouvez faire un procès à quiconque essaie de bricoler sa voiture. Ce n'est pas simplement une mauvaise nouvelle pour les garagistes - pensez aussi à tous les bricoleurs du dimanche qui aiment tuner leur voiture pour en améliorer les performances. Voici des compagnies comme Lexmark qui prétendent que leurs cartouches contiennent du matériel protégé -- un programme qui indique "vide" quand le toner est vide, et qui ont poursuivi un concurrent qui a fabriqué une cartouche qui remet l'indicateur à zéro. Même les fabricants de portes de garage automatiques ont compris le truc, en prétendant que les gestionnaires de leurs récepteurs sont des travaux sous copyright. Des voitures protégées, des cartouches d'encre, des portes automatiques: est-ce que la prochaine fois ce sera le tour des lampes à néon?

Même dans le cas d'un usage légal -- pardon, "traditionnel" -- de produits sous copyright comme les films ou les DVD, la loi anti contournement n'est pas bonne. Le copyright est un équilibre délicat. Il donne des droits aux créateurs et leurs ayant-droit, mais il en donne aussi au public. Par exemple, un auteur n'a pas le droit d'empêcher la transcription de ses livres en braille. Encore plus important, un créateur à très peu à dire sur ce que vous pouvez faire une fois que vous avez acquis légalement son travail. Si j'achète votre livre, votre peinture ou votre DVD, il m'appartient. Il est ma propriété. Pas ma "propriété intellectuelle" -- une forme bizarre de propriété truffée d'exceptions, facilités et restrictions -- mais une *propriété* réelle, matérielle -- le genre de chose que les tribunaux ont géré avec les lois sur la propriété depuis des siècles.

Mais la loi anti contournement permet aux détenteurs de droits de s'inventer des copyrights nouveaux et fascinants -des lois écrites sans consultation ni justification - qui vous exproprient de votre propriété physique en leur faveur. Les DVD zonés en sont un exemple: il n'y a pas de copyright ici ou n'importe où ailleurs à ma connaissance qui indique qu'un auteur peut décider où vous pourrez profiter de son oeuvre une fois que vous avez payé pour l'avoir. Je peux acheter un livre, le mettre dans mon sac et le trimballer n'importe où de Toronto à Tombouctou, et le lire quel que soit l'endroit où je me trouve: je peux même prendre mon livre aux Etats-Unis et l'emmener au Royaume-Uni, où l'auteur peut avoir un accord exclusif de distribution avec un éditeur local qui le vend pour le double du prix américain. Les avocats spécialisés en copyright appellent cela "Première vente", mais il est plus simple de parler de "Capitalisme".

Les clefs pour décrypter un DVD sont contrôlées par une organisation appelée DVD-CCA, et qui pose tout un tas de conditions de licence pour quiconque veut obtenir une clef de sa part. Parmi celles-ci se trouve le zonage: si vous achetez un DVD en France, il aura un marqueur qui dira "je suis un DVD européen". Amenez ce DVD en Amérique et votre lecteur va comparer le marqueur à sa liste de régions autorisées, et vous dira alors qu'il n'est pas autorisé à le lire.

Attention: il n'y a pas de copyright qui autorise un auteur à faire cela. Quand les droits de copyright furent rédigés et que les auteurs ont eu le droit de contrôler la présentation, la diffusion, la duplication, les produits dérivés et ainsi de suite, la "géographie" n'a pas été oubliée par hasard. C'était exprès.

Donc, si votre DVD français ne marche pas en Amérique, ce n'est parce que c'est illégal: c'est parce que les studios ont inventé une méthode d'affaires et ensuite le copyright pour la faire tenir debout. Le DVD est à vous ainsi que le lecteur de DVD, mais si vous éliminez le zonage de votre disque, vous enfreignez la loi anti contournement.

C'est ce qui est arrivé à Jon Johansen, un adolescent norvégien qui voulait regarder des DVD français sur son lecteur norvégien. Lui et quelques copains ont écrit un bout de code pour casser le CSS et leur permettre de regarder ce qu'ils voulaient. Il est recherché en Amérique; en Norvège, les studios ont fait monter l'affaire pour le faire accuser d'*effraction illégale d'un système informatique*. Quand sa défense demanda *sur quel ordinateur a-t-il commis une effraction?", la réponse fut: "le sien". Sa propriété matérielle, réelle et quantifiable a été expropriée par la notion bizarre et métaphorique de propriété intellectuelle inscrite dans son DVD: la GDN marche uniquement si votre lecteur devient la propriété de celui dont vous jouez le disque.

3. Les systèmes de GDN sont mauvais pour les affaires.

Voici la pire des idées incarnées par la GDN: que les gens qui fabriquent des lecteurs devraient être capables de décider quels enregistrements vous pouvez jouer, et que les gens qui produisent des disques devraient avoir un droit de véto sur la conception des lecteurs.

Ce principe n'a jamais existé: en fait c'était jusqu'à présent exactement le contraire qui avait lieu. Pensez à toutes les choses qui peuvent être branchées sur un port série ou parallèle et auxquelles leurs créateurs n'avaient jamais pensé. La force de notre économie et la rapidité de nos innovations vient de la possibilité pour quiconque de fabriquer quelque chose qui se branche sur quelque chose d'autre: depuis la tondeuse qui se branche sur l'embout de votre aspirateur jusqu'au multiprise qu'on peut brancher sur l'allume-cigare, les interfaces standards sur lesquelles tout le monde peut brancher quelque chose sont ce qui permet de transformer des informaticiens boutonneux en milliardaires.

Les tribunaux l'affirment et le confirment sans cesse. Il était passé un temps illégal de brancher quelque chose qui ne venait pas d'AT&T dans votre prise téléphonique. Ils prétendaient que c'était pour la sécurité du réseau, mais il s'agissait surtout de maintenir ce micro-racket qu'exerçait AT&T en vous facturant la location du téléphone jusqu'à ce que vous l'ayiez remboursé mille fois.

Quand ce blocage fut annulé, cela créa un marché pour les équipements tiers, comme les répondeurs, les téléphones sans fil et les écouteurs - des milliards de dollars d'activité économique qui avaient été bloqués par ce monopole sur l'interface. Remarquez qu'AT&T fut l'un des grands bénéficiaires de tout cela: ils se sont *aussi* mis à fabriquer des accessoires téléphoniques.

La GDN est l'équivalent informatique de ces matériels propriétarisés. Robert Scoble est un programmeur qui tient un excellent blog, où il a écrit un essai sur la meilleure façon de protéger l'investissement que représente la musique que vous achetez. Devriez-vous acheter la musique iTune d'Apple, ou la GDN de Microsoft? Scoble explique que Microsoft était un investissement plus solide, parce qu'il aurait plus de licenciés en aval pour son format propre, et donc un écosystème plus riche de matériels parmi lesquels choisir lorsque viendrait le moment de décider sur quoi jouer votre musique virtuelle.

Quelle drôle d'idée: que nous devrions évaluer nos achats de musique par rapport à la quantité de lecteurs qu'une maison de disque autorisera à jouer ses morceaux! C'est comme demander à quelqu'un d'acheter un Betamax plutôt que le Kinetoscope d'Edison juste parce qu'Edison est complètement parano dans la distribution de ses brevets, et tout cela en passant à côté du fait que le monde s'est tourné vers le format VHS, beaucoup plus ouvert.

Ce n'est pas une bonne façon de faire des affaires. Le DVD est un format où le type qui enregistre le produit est aussi celui qui conçoit le lecteur. Demandez vous quelle quantité de nouveautés il y a eu dans le domaine des DVD depuis 10 ans. Ils sont devenus plus petits et moins chers, mais où sont les nouveaux marchés surprenants et inattendus qui ont été ouverts par le magnétoscope? Il y a une société qui vend le premier lecteur DVD avec disque dur, un truc qui peut contenir 100 films, et ils demandent *27 000* dollars pour ça. Nous parlons juste d'une boîte avec quelques milliers de dollars de matériel dedans - tout le reste représente le coût des pratiques anticoncurrentielles.

4. Les systèmes GDN sont mauvais pour les artistes.

Que dire des artistes? Le réalisateur talentueux, l'écrivain couvert d'encre, la rock-star gonflée à l'héroïne et couverte de cuir? Les prolos de la classe créative sont comme les petits enfants des cartes postales dans ce cas: la RIAA et la MPAA [Music Producers Association of America, équivalent de la SACEM française, NdT] nous les montrent et disent: "est-ce que quelqu'un pourrait penser aux enfants s'il vous plaît?" Les gens qui partagent leur musique répondent "Ouais, on y pense, mais c'est la faute des maisons de disque, on s'en fout de ce qui leur arrive à ceux-là!"

Pour comprendre ce que la GDN fait aux artistes, il faut comprendre comment copyright et technologie interagissent. Le copyright est intrinsèquement technologique, vu que les choses qu'il prend en compte - la copie, la transmission et ainsi de suite - sont intrinsèquement technologiques.

Le piano mécanique fut le premier système développé pour copier de la musique pour pas cher. Il fut inventé à une époque où la principale forme de divertissement consistait à inviter un bon pianiste dans votre salon pour jouer quelques airs pendant que vous chantiez à côté. L'industrie musicale était essentiellement constituée d'éditeurs de partitions.

Le piano mécanique était un système d'enregistrement et de lecture numérique. Les fabricants de pianos mécaniques achetaient les partitions et les transformaient en 1 et 0 et 1 sur une longue bande de papier rigide, qu'ils vendaient à des milliers - des centaines de milliers, voire des millions - d'exemplaires. Ils le firent sans verser un seul sou de compensation aux éditeurs. Arrrr!

Evidemment, les compositeurs et éditeurs de musique grimpèrent aux rideaux. J.P.Sousa [un compositeur américain de l'époque, NdT] vint jusqu'au Congrès pour déclarer:

Ces machines parlantes vont ruiner le développement artistique musical de ce pays. Quand j'étais petit... devant chaque maison les soirs d'été on pouvait voir les gens se rassembler pour chanter ensemble les chansons du moment ou du bon vieux temps. On entend désormais jour et nuit ces machines infernales. Il ne nous restera plus une seule corde vocale. La corde vocale sera éliminée par un processus d'évolution, de la même manière que disparut la queue de l'homme quand il évolua du singe.

Les éditeurs demandèrent au Congrès d'interdire le piano mécanique et d'instituer une loi qui dirait que tout nouveau système pour reproduire de la musique devrait être soumis au veto éventuel de l'association des professionnels. Heureusement pour nous, le Congrès réalisa de quel côté se trouvait son intérêt et décida de ne pas criminaliser la forme de divertissement la plus importante d'Amérique.

Mais restait le problème du paiement des artistes. La Constitution indique le but du copyright: promouvoir les arts et sciences utiles. Les compositeurs étaient cérdibles lorsqu'ils expliquaient qu'ils composeraient moins s'ils n'étaient pas payés pour, et le Congrès avait besoin d'un contrepoids. Et voici ce qu'ils ont trouvé: quiconque paierait 2 cents aux éditeurs aurait le droit d'imprimer une partition pour piano mécanique avec n'importe quelle chanson publiée par l'éditeur. L'éditeur ne pourrait refuser, et personne n'a eu besoin d'embaucher un avocat à 200$ de l'heure pour négocier le fait que le prix serait de deux cents ou un sou.

Cette licence obligatoire est encore en vigueur de nos jours: quand Joe Cocker chante "With a Little Help fron My Friends", il paie une somme donnée à l'éditeur des Beatles et reste libre comme l'air - même si Ringo déteste ça. Si vous vous demandiez comment Sid Vicious a pu convaincre Paul Anka de lui laisser chanter "My Way" ["Comme d'Habitude"], eh bien maintenant vous savez.

Cette licence obligatoire permis de créer un monde dans lequel mille fois plus d'argent était généré par mille fois plus de créateurs qui créèrent mille fois plus de musique qui toucha mille fois plus de monde.

Cette histoire s'est répètée à travers tous le XXe siècle, tous les 10 ou 15 ans. L'émergence de la radio fut permise par l'adoption d'une licence volontaire généralisée - les maisons de disques se rassemblèrent et demandèrent un decret d'agrément qui leur permettrait d'offrir toute leur musique pour un prix forfaitaire. La TV câblée obtint un décret obligatoire: la seule façon pour les fournisseurs de TV câblée d'offrir des programmes était de les pirater et les rediffuser, et le Congrès décida donc de légaliser cette pratique plutôt que de bricoler la TV des électeurs.

Les tribunaux et le Congrès décident de temps en temps de simplement supprimer le copyright - c'est ce qui s'est passé avec le magnétoscope. Quand Sony a mis sa machine sur le marché en 1976, les studios avaient déjà compris ce que regarder un film dans votre salon serait: ils avaient déjà vendu la licence de leurs programmes pour une machine appelée Discovision, qui jouait des gros disques format 33-tours non enregistrables. Proto-GDN.

Les experts en copyright de l'époque n'étaient pas très optimistes pour le magnétoscope. Sony prétendait que son produit permettait une utilisation honnête ["fair use"], chose que l'on définit comme ce que les tribunaux considèrent être une protection contre la violation des droits d'auteur, et ce selon 4 paramètres: est-ce que l'utilisation transforme l'œuvre en quelque chose de nouveau, comme un montage; est-ce qu'elle utilise tout ou partie de l'œuvre originale; est-ce que l'œuvre est artistique ou fonctionnelle; et est-ce que l'utilisation diminue le retour sur investissement du créateur.

Le Betamax échouait à remplir chacune de ces quatre conditions: en rediffusant ou copiant un film hoolywoodien télédiffusé, vous faisiez une utilisation non-transformatrice de 100% d'une œuvre créative d'une manière dommageable pour le schéma de license attribué à Discovision.

Jack Valenti, le porte-parole de l'industrie cinématographique, déclara au Congrès en 1982 que le magnétoscope était à l'industrie cinématographique américaine "ce que l'étrangleur de Boston était à une femme seule à la maison."

Mais la Cour suprême contredit Hollywood en 1984, en décidant que tout matériel capable d'une utilisation légale substantielle était légal. En d'autres mots, "On ne croit pas à cette histoire d'étrangleur de Boston: si votre business ne peut survivre à l'arrivée de cet outil généraliste, alors changez de business ou coulez."

Hollywood se trouva une autre façon de faire des affaires, tout comme les diffuseurs, tout comme les acteurs de Vaudeville, tout comme les éditeurs de musique, et produisirent plus d'œuvres artistiques en payant plus d'artistes et en atteignant un public plus large.

Il y a une chose que tous les nouveaux business artistiques ont en commun: ils profitent du système de diffusion lié à leur époque.

C'est la caractéristique essentielle de n'importe quel nouveau média qui marche: il est consistant avec lui-même. La Bible de Luther ne doit pas son succès aux méthodes des moines copistes: elle était moche, même pas en latin, n'était pas lue à haute voix par quelqu'un qui pouvait la traduire pour son public, elle ne représentait pas des années de Travail-avec-un-t-majuscule par quelqu'un qui avait consacré sa vie à Dieu. Ce qui permis le succès de la Bible lutherienne, c'était son échelle: elle était plus populaire parce que plus largement distribuée. Tous les indices de réussite font pâle figure à côté de la diffusion de masse. Les organismes qui survivent le mieux sont ceux qui se reproduisent le plus: insectes, bactéries, nématodes et virus. La reproduction est la meilleure des stratégies de survie.

Les pianos mécaniques n'étaient pas aussi bons qu'un pianiste doué: mais *leur échelle était meilleure*. La radio n'avait pas le caractère social d'une représentation sur place, mais plus de gens étaient capables d'acheter et régler correctement un récepteur qu'on ne pourrait jamais en faire tenir dans un café-concert. Les MP3 ne sont pas fournis avec les paroles, ils ne sont pas vendus par des vendeurs supercools qui vous aident à faire votre choix, les copies basse qualité ou tronquées sont légion: j'ai téléchargé une fois une copie de "Hey Jude" longue de 12 secondes depuis Napster. Pourtant le MP3 est en train de couler le CD. Je ne sais plus quoi faire de mes CD. Je les achète, et ils finissent comme le chouette sac de marque que l'on vous donne au magasin de vêtements à la mode: il est chouette et vous vous sentiriez coupable de le jeter, mais sérieusement, de combien vous avez besoin dans votre placard? Je peux mettre dix mille chansons sur mon ordinateur portable, mais une quantité comparable de disques, avec les livrets et l'emballage -- c'est un coût, une partie de mes frais mensuels de location de garde-meubles.

Voici les deux choses les plus importantes à savoir à propos des ordinateurs et de l'internet:

  1. Un ordinateur est une machine qui sert à réorganiser des bits.
  2. L'internet est une machine qui sert à déplacer des bits d'un point A à B très vite et pour pas cher.

N'importe quel nouveau média qui se base sur l'internet et les ordinateurs va profiter de ces deux choses, pas les rejeter. Une rotative est une machine qui crache des journaux vite et pas cher: si vous voulez l'utiliser pour produire de subtiles lithographies, vous n'obtiendrez rien de valable. Si vous cherchez à lui faire imprimer des journaux, vous aurez un des fondements d'une société libre.

De même avec l'internet. Au plus fort de l'époque Napster, les cadres des maisons de disques allaient à des conférences pour dire à tout le monde que Napster allait couler parce que personne ne voulait des MP3 mal compressés, sans livrets de paroles, avec des fichiers tronqués et des métadonnées erronées.

Aujourd'hui, ce sont les éditeurs de livres électroniques qui racontent à qui veut l'entendre que la barrière aux livres électroniques est la résolution des écrans. C'est idiot, tout autant que le prêchi-prêcha sur combien c'est beau d'avoir un livre sur une étagère, et quelle bonne odeur ça a, et combien c'est facile de bouquiner dans sa baignoire. C'est à la fois évident et faux, tout comme l'idée que la radio va reprendre le pouvoir dès qu'ils auront compris comment vous vendre des hot-dogs pendant la pause, ou que les films vont être vraiment au sommet quand on aura trouvé un système pour faire revenir les acteurs pour un bis une fois que le film sera fini. Ou que la Réforme Protestante a besoin de Bibles avec illuminations dans la marge et un prêtre de location pour vous lire votre Parole Divine personnelle.

Les nouveaux médias ne réussissent pas parce qu'ils sont comme les vieux médias, mais mieux: ils réussissent parce qu'ils sont pires que les vieux médias là où les vieux médias sont bons, et meilleurs là où les vieux sont mauvais. Les livres sont bons à être sur du papier, haute-résolution, faible complexité, pas cher et jetables. Les livres electroniques sont forts pour être disponibles partout dans le monde gratuitement dans un format si flexible que vous pouvez les copier-coller dans votre session Messenger ou les transformer en un feuilleton sur une liste de diffusion.

La seule édition électronique qui marche - je veux dire des centaines de milliers, des millions de copies distribuées et lues - est le secteur de l'édition pirate, où des livres scannés et convertis sont distribués dans les coins obscurs du net. Les seuls éditeurs légaux qui ont un peu de succès dans l'édition numérique sont ceux dont les livres profitent de l'internet sans surfaire dans le technologique: des éditeurs comme Baen Books et le mien, Tor, qui publient tout ou partie de leur catalogue sous format ASCII, HTML et PDF.

Les livres numérique qui dépendent du côté matériel, les livres numériques sous GDN à usage et copie limités, ceux-la rament. Des ventes de l'ordre de la dizaine, quelques fois centaine. La science-fiction est une niche, mais quand on vend des livres à la dizaine, ce n'est plus un business mais un passe-temps.

Chacun d'entre vous a fait l'expérience de lire de plus en plus de mots à partir de plus en plus d'écrans pendant la plupart de votre carrière. Le total s'annule: vous avez aussi lu moins de mots sur moins de pages, avec le temps. Le cadre qui imprime ses emails pour dicter une réponse à sa secrétaire est un piéton mort sur l'autoroute de l'information.

Aujourd'hui, en ce moment même, des gens lisent des mots sur un écran dès qu'ils le peuvent. Vos enfants jouent au Gameboy jusqu'à ce que leurs yeux les brûlent. Les ados européens appuient sur le bouton de la sonnette avec leur pouce hypertrophié par la rédaction de SMS plutôt qu'avec leur index.

Les livres en papier sont l'emballage dans lequel les livres arrivent. Les imprimeurs-relieurs bon marché comme l'Internet Bookmobile, qui peut produire un livre complet, relié, en 4 couleurs, couverture brillante et tranche imprimée, sont le futur des livres papier: quand vous avez besoin d'un exemplaire, vous en fabriquez un, ou une partie, et le jetez quand vous avez fini. En atterissant à l'aéroport de Seattle lundi, je me suis gravé quelques CD pour écouter dans ma voiture de location. En rendant la voiture, je les laisse. A quoi d'autre me serviraient-ils?

A chaque fois qu'une nouvelle technologie a bouleversé le copyright, nous avons changé le copyright. Le coypright n'est pas une conception éthique, mais une conception utilitariste. Il n'y a rien de *moral* à payer un compositeur quelques sous pour les droits du piano mécanique, il n'y a rien d'*immoral* à ne pas payer Hollywood pour le droit d'enregistrer un film depuis votre TV. C'est juste le meilleur équilibre pour que le droit des gens sur la propriété physique de leur magnétoscopes et phonographes soit respectée, et pour que les créateurs obtiennent assez de leur carotte pour continuer à produire des spectacles, de la musique, des livres et des peintures.

Une technologie qui bouleverse le système de copyright le fait en simplifiant et diminuant le coût de la création, reproduction et distribution. Le système en place profite des insuffisances du système précédent, et sera affaibli par le nouveau. Mais la nouvelle technologie nous donne une toujours plus grande portée: c'est à cela que la technologie "sert".

Elle nous donne aussi un plus gros gateau pour plus d'artistes. C'est ce qui est indirectement reconnu à chaque étape du débat depuis le piano mécanique. Quand le copyright et la technologie entrent en collision, c'est le copyright qui change.

Ce qui veut aussi dire que le copyright actuel - celui qui est protégé par la GDN -- n'est pas descendu de la montagne gravé sur deux tablettes en pierre. Il a été défini au fur et à mesure par les tenants de la génération précédente pour gérer la nouvelle situation technologique. Arrêter d'inventer maintenant vole les artistes de demain, et leur prend les nouveaux secteurs et la nouvelle portée et le nouveau public que l'internet et les PC peuvent leur donner.

5. La GDN est commercialement mauvaise pour Microsoft

Quand Sony mis le magnétoscope sur le marché, elle fabriqua un instrument pour jouer des films hollywoodiens, même si Hollywood n'aimait pas trop ça. Les industries qui se sont développées sur ce marché -- location de films, enregistrements privés, caméscope, et même vidéos de Bar-Mitzvah -- ont rapporté des milliards à Sony et autres.

C'était une bonne affaire -- même si Sony perdit la guerre des formats Betamax-VHS, l'argent généré par le monde équipé en magnétoscopes compensait largement.

Mais ensuite Sony acquis une relativement petite compagnie médiatique et les choses commencèrent à aller de travers. Quand les MP3 firent leur apparition et que les clients Sony demandèrent un lecteur de MP3 de qualité, Sony laissa son département marketing prendre les rênes: au lieu de faire un baladeur MP3 à haute capacité, Sony sortit ses Music clips, des gadgets de faible capacité qui utilisaient de médiocres GDN comme Real et OpenMG. Ils investirent beaucoup d'argent pour ajouter des "options" dans ces gadgets qui dans les faits empêchaient leurs clients d'écouter leur musique sur leurs différents lecteurs. Ce fut un flop commercial.

Aujourd'hui, Sony ne vaut plus rien en terme de baladeurs. Les leaders du marché sont de petites boîtes de Singapour comme Creative Labs -- le genre de compagnie que Sony pouvait autrefois écraser comme un insecte, avant de se faire décérébrer par sa division divertissement -- et des fabricants de PC comme Apple.

Tout ça parce que Sony a voulu vendre un produit pour lequel il n'y avait pas de marché. Pas un seul client Sony ne s'est réveillé en se disant "Saperlotte, j'aimerais bien que Sony investisse plein de matière grise pour que je puisse moins profiter de ma musique." Lorsqu'on leur a offert une alternative, les clients de Sony ont quitté le navire avec enthousiasme.

C'est arrivé à beaucoup de gens que je connais qui dupliquaient leurs CDs en WMA. Vous leur avez fourni des logiciels qui produisaient des duplications plus petites et de meilleure qualité que les duplicateurs MP3, mais vous avez aussi fait en sorte que l'usage des morceaux qu'ils dupliquaient soit limité à leur PC. Ce qui signifie que lorsqu'ils ont voulu sauvegarder leur musique sur un autre disque dur pour réinstaller leur OS (une pratique que la guerre contre les spywares et autres malwares a rendue plus fréquente que jamais), ils ont réalisé qu'ils ne pouvaient plus jouer leur musique après restauration. Le lecteur voyait l'OS comme une nouvelle machine et les empêchait d'avoir accès à leur propre musique.

Il n'y a aucune demande du marché pour cette "fonctionnalité". Aucun de vos clients ne vous demande de faire de coûteuses modifications à vos produits pour rendre la sauvegarde et la restauration plus difficile. Et qui plus est lors d'une récupération suite à un plantage technique catastrophique, autrement dit à un moment où vos clients sont particulièrement peu enclins à vous pardonner.

Je parle d'expérience. Parce que j'achète un nouveau Powerbook tous les dix mois, et parce que je commande toujours le nouveau modèle le jour où il est annoncé, j'ai un tas de lézards avec Apple. Ce qui veut dire que j'atteins la limite de l'autorisation sur trois ordinateurs d'iTune assez rapidement et que je me retrouve dans l'impossibilité de jouer les morceaux que j'ai achetés chez iTune pour une centaine de dollars. Parce qu'une de mes machines autorisées était une saleté dont Apple a fait des pièces détachées, une autre est en réparation, et l'autre est la machine de ma mère qui habite à Toronto, à 5 000 kilomètres de chez moi.

Si j'avais été un moins bon client d'Apple, c'eut été suffisant. Si j'avais été un thuriféraire moins enthousiaste des produits Apple --si je n'avais pas montré à ma mère comment fonctionne iTunes Music Store-- c'eut été suffisant. Si je n'avais pas acheté tant de musique sur iTunes, si la graver sur CD, la dupliquer, ré-entrer toutes les metadonnées n'était pas une tâche si ardue, c'eut été suffisant.

C'est comme si Apple récompensait ma confiance, mon prosélytisme et mes dépenses inconsidérées en me traitant comme un escroc, et m'interdisait l'accès à ma propre musique au moment où mon Powerbook est en réparation --c'est à dire au moment où je suis le moins disposé à me sentir charitable vis-à-vis d'Apple.

Je suis peut-être un cas limite, mais un cas de limite supérieure. Si ce modèle commercial se pérennise, ce n'est qu'une question de temps avant que le client moyen n'ait suffisamment fait évoluer son matériel et acheté de musique pour se retrouver dans la situation dans laquelle je me trouve.

Vous savez ce que j'achèterai à coup sûr? Un lecteur qui me laisse jouer les morceaux de tout le monde. Aujourd'hui, le plus proche de ça est une application open source qui s'appelle VLC, mais c'est bancal et plein de bugs, et ça n'est pas pré-installé sur mon ordinateur.

Sony n'a pas fait le Betamax pour jouer uniquement les films qu'Hollywood voulait bien lui laisser jouer-- Hollywood lui avait demandé de le faire, ils avaient proposé à l'origine un marquage analogique sur les émissions, les magnétoscopes pouvant le détecter et réagir en désactivant la fonction enregistrement. Sony a ignoré leur requête et réalisé le produit qu'elle pensait que ses clients voulaient.

Je suis un client Microsoft. Comme des millions d'autres clients Microsoft je veux un lecteur qui joue tout ce que je lui donne, et je pense que vous êtes la bonne compagnie pour me donner ça.

Et oui, ça violerait les lois actuelles sur le copyright, mais ça fait des dizaines d'années que Microsoft fait des outils de piratage qui changent les lois du copyright. Outlook, Exchange et MSN sont des outils qui encouragent le non-respect du copyright numérique à grande échelle.

De manière plus significative, IIS et les proxy-caches diffusent des copies de documents sans le consentement de leurs auteurs, une chose qui, si c'est légal aujourd'hui ne l'est que parce que des compagnies comme Microsoft sont allées de l'avant, l'ont fait et ont mis les législateurs au défi de les poursuivre.

Microsoft ne s'est pas laissée faire, pour le bien de ses clients et du progrès, et a gagné de manière si décisive que la plupart des gens n'a même pas réalisé qu'il s'était agit d'un combat.

Refaites-le! C'est une compagnie qui regarde droit dans les yeux en rigolant les contrôleurs des lois antitrust les plus brutaux et les plus coriaces. Comparés aux gars de l'antitrust, les législateurs du copyright sont des lavettes. Vous les prenez les doigts dans le nez.

Dans son livre "L'anarchiste dans la bibliothèque", Siva Vaidhyanathan parle des raisons pour lesquelles les studios sont si aveugles aux désirs de leurs clients. C'est parce que des gens comme vous et moi ont passé les années 80 et 90 à les faire fantasmer sur de mauvaises histoires de science fiction à propos d'une technologie DRM impossible qui leur permettrait de faire payer de petites sommes d'argent chaque fois que quelqu'un regarderait un film --vous voulez l'avance rapide? ça coutera un centime de plus. La touche pause c'est deux centimes de l'heure. Vingt-cinq centimes pour couper le son.

Quand Mako Analysis a sorti son rapport le mois dernier conseillant aux opérateurs télécom de cesser de sponsoriser les téléphones Symbian, ils étaient juste en train d'écrire un nouvel acte de cette pièce. Mako dit que les téléphones comme le P900, qui peuvent jouer des sonneries MP3, sont mauvais pour l'économie du téléphone cellulaire, parce qu'ils vont mener à la faillite les rapaces qui revendent les sonneries. Ce que dit Mako c'est que ça n'est pas parce que vous achetez un CD que vous devez avoir la possibilité de l'écouter sur votre lecteur MP3, et que ce n'est pas parce que vous pouvez l'écouter sur un lecteur MP3 que vous pouvez l'utiliser comme sonnerie. Je me demande ce qu'ils pensent des réveils qui jouent des CDs pour vous réveiller le matin? Est-ce que ça étouffe dans l'oeuf le marché naissant des sonneries de réveil?

Les clients des opérateurs téléphoniques veulent des téléphones Symbian et pour le moment les opérateurs comprennent que s'ils n'en vendent pas quelqu'un d'autre en vendra.

Les perspectives de marché pour des appareils vraiment capables sont énormes. Il y a une compagnie qui vend *27 000$* un juke-box DVD - bouffez-les! Steve Jobs ne va pas le faire: il est à la conférence D, sur le contenu numérique, en train de dire aux patrons de studios de ne pas sortir de films en haute définition tant qu'ils ne sont pas sûrs que quelqu'un ne va pas arriver avec un graveur DVD haute définition sur un PC.

Peut-être qu'ils ne croiront pas à ses conneries, mais ils ne sont pas trop intéressés par ce que vous avez à vendre non plus. Dans les réunions du groupe de discussion sur la protection de la diffusion, où le marquage de télédiffusion [broadcast flag] a été créé, la position des studios a été: "Nous prendrons la GDN de n'importe qui sauf de Microsoft et de Philips". Quand j'ai rencontré les supers experts de la télédiffusion anglaise à propos de la version européenne du marquage de télédiffusion au cours du forum des Diffuseurs de Vidéo Numérique (DVB), ils m'ont dit, "Eh bien c'est différent en Europe: ils sont surtout inquiets qu'une compagnie américaine comme Microsoft ne fasse main basse sur la télévision européenne".

Les studios américains ne voulaient pas que les firmes d'électronique japonaises aient leur part du gateau du marché du film, alors ils ont combattu le magnétoscope. Aujourd'hui, tous ceux qui font des films sont unanimes à ne pas vouloir de vous entre leurs clients et eux.

Sony n'a pas demandé la permission. Vous ne devriez pas la demander non plus. Sortez le lecteur qui peut jouer les enregistrements de tout le monde.

Parce que si ce n'est pas vous qui le faites, quelqu'un d'autre le fera.

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